lundi 18 juillet 2011

Assurance vie - monstruosité parentale

Note que j'ai publiée le 15 juillet 2011 sur un autre de mes blogs

Assurance vie

C'est seulement hier, soit plus de 35 ans plus tard (hé oui....) que j'ai compris ce qu' était une assurance-vie, que j'ai compris la réaction de mon meilleur copain lorsque je lui ai annoncé que mes parents m'avaient assurée sur la vie, et que j'ai fait le rapprochement entre cette "fameuse" assurance-vie et la façon dont j'étais traitée à la maison...

J'avais environ 13 ans le jour où mon père m'a annoncé qu'il m'avait assurée sur la vie. Toute contente, pensant "Wouah ! Mais alors mes parents m'aiment ! Ils se préoccupent de moi ! Ils ont pris une assurance pour que je ne reste pas sans ressources s'ils mourraient avant ma majorité !" je me suis empressée d'aller annoncer cette "bonne nouvelle" à mon meilleur copain. La réaction de ce dernier m'a étonnée: loin de partager mon enthousiasme, il s'est exclamé: "Oh punaise ! Ils ont fait ça ? Eh bien moi, à ta place, je ne serais pas rassuré !"
Dans mon immense naïveté, j'ai pensé qu'il insinuait que mes parents étaient gravement malades et qu'ils risquaient de mourir prochainement.
En réalité, mes parents avaient souscrit une assurance qui leur permettrait de toucher un capital si je mourrais avant eux ou l'un d'eux.

Mon père passait le plus clair de son temps à tenter de me tuer de diverses façons (et à me dire: "Je te tuerai ! J'arriverai bien à te tuer un jour. Tôt ou tard je te tuerai de mes propres mains, et je saurai faire en sorte que cela passe pour un accident !" Ma mère me harcelait, me poussait à bout nerveusement et ne manquait jamais une occasion d'inciter mon père à me frapper (et il n'y allait pas de main-morte... coups de pieds avec les rangers -il était légionnaire- coups de cravache, coups de nerf de boeuf, coups de poings, gifles magistrales à me faire tomber par terre, et j'en passe. Sans parler des nuits où il entrait dans ma chambre et m'arrachait de mon lit en me tirant par les cheveux, et me jetait par terre pour me rouer de coups en vociférant des insultes. Sans parler de toutes les fois il m'a menacée d'un couteau de guerre et où il a pointé son pistolet chargé sur ma tempe ou sur ma nuque.

Maintenant je comprends pourquoi j'avais droit à de tels traitements.

Je comprends aussi pourquoi, dés l'âge de 12 ans, j'ai joui d'une totale liberté. Je pouvais aller où bon me semblait, passer toute la journée, voire toute la nuit, dehors, sans devoir rendre de comptes.

A l'époque où nous habitions à Orange (dans le Vaucluse), les jours où il n'y avait pas d'école et à la belle saison, je partais de la maison très tôt le matin. Aussitôt mon petit déjeuner avalé, je me préparais un en-cas que je mettais dans ma besace et je partais à vélo ou à pied. Je parcourais, toute seule, des kilomètres à travers la campagne. Je visitais tous les lieux de la ville. J'allais à la piscine des Cèdres, sur la colline Ste Eutrope où je restais de la première heure jusqu'au moment de la fermeture (19h). J'y prenais mon repas de midi, dans la pinède qui surplombait les bassins. J'étais toujours la dernière à quitter les lieux (il n'était d'aileurs pas rare qu'un maitre-nageur me sorte de force du bassin en rouspétant: "On va fermer ! Tu n'as pas entendu le signal ? Allez, ouste ! Va te sécher et te rhabiller !" et je flânais sur le chemin du retour: je m'arrêtais dans un bois pour m'allonger sur l'herbe et écouter le chant des cigales en contemplant les nuages; je cueillais des mûres que je dégustais sur place: j'observais le paysage; je jouais avec des cailloux, des branches; je grimpais sur les arbres... bref, je m'amusais bien, sans me soucier de l'heure, sans contrainte (et sans aune conscience des dangers auxquels était exposée une fillette seule dans ce lieu semi-sauvage en fin de journée... des camarades de classe m'avaient pourtant raconté des histoires terrifiantes: les endroits où j'aimais me promener seule étaient fréquentés par des pervers, notamment des exhibitionnistes, plusieurs filles de ma classe en avaient croisé un en plein jour et en étaient traumatisées... moi je devais être particulièrement chanceuse car cela ne m'est jamais arrivé, même en trainant dans ces lieux jusqu' à point d'heure. Même lorsque j'y allais en pleine nuit, lors de mes escapades nocturnes dont j'ai pris l'habitude à l'âge de 15 ans).

J'étais heureuse d'avoir autant de liberté, de pouvoir faire tout ce que je voulais, et je plaignais mes camarades filles et garçons qui ne faisaient rien tout seuls, qui avaient des horaires à respecter, qui n'avaient pas le droit d'aller partout (et surtout pas dans les endroits où j'allais) ni de rester dehors après une certaine heure. Je n'avais pas conscience du fait qu'eux ils étaient protégés, que les contraintes auxquels ils étaient soumis n'étaient pas seulement des règles de discipline mais aussi des mesures destinées à assurer leur sécurité. En fait, eux ils avaient des parents qui les aimaient, qui tenaient à eux, qui veillaient sur eux; et moi j'avais des parents qui en plus de souhaiter ma mort se réjouissaient à l'idée de bénéficier d'une belle somme d'argent si je venais à mourir. Mais je n'avais conscience de rien de tout cela et j'aimais ma vie de sauvageonne.

A présent, je comprends aussi pourquoi, contrairement à mes frères et soeurs, je n'avais pas droit aux soins médicaux et dentaires. A partir de l'âge de 13 ans, mes parents ont cessé de faire appel au médecin quand j'étais malade, même si ma vie était en danger. Par exemple, à l'âge de 15 ans j'ai contracté une angine de Ludwig. C'est une affection très grave, potentiellement mortelle (mais je ne le savais pas- ma mère oui, de par son ancien métier dans le milieu médical).

Elle n'a pas appelé le médecin, elle m'a laissée enfermée dans ma chambre durant tout le temps qu'a duré ma maladie, sans même m'apporter à manger (de toute façon je ne pouvais rien avaler). J'ai passé je ne sais combien de jours toute seule dans ma chambre, immobilisée dans le lit: trop faible pour me lever, incapable de parler. J'ai fait des cauchemars épouvantables, je sentais ma fin proche. Et puis, un beau jour, par je ne sais quel miracle, j'ai guéri. Je me suis levée, chancelante, tenant à peine sur mes jambes (je n'avais plus que la peau et les os), je suis allée dans le salon où se trouvait ma mère et je lui ai dit "J'ai faim ! Je voudrais une énorme assiette de spaggetti avec beaucoup de sauce !" Ma mère est restée bouche bée, les yeux écarquillés, apparemment elle était stupéfaite (déçue ?) par cette guérison spontanée et soudaine alors que quelques heures plus tôt j'étais au seuil de la mort. Mais elle m'a préparé le plat de spaggetti que je réclamais.

Un an plus tard, nous habitions dans une petite commune au-dessus d'Aix-en-Provence. J'allais au lycée à mobylette. Je devais parcourir plusieurs kilomètres de routes sinueuses et un long tronçon d'une voie rapide à grande circulation et en pente raide. Sur cette partie de mon trajet quotidien, je m'amusais comme une petite folle. En descente, ma mobylette atteignait les 70 km, voire davantage les jours où j'avais le vent dans le dos. Cela me procurait une sensation d'ivresse parfaitement euphorisante.

Un soir, mes parents avaient invité un ami de mon père à dîner. Au cours du repas, cet ami m'a dit: "Dis donc, Helena, je t'ai vue ce matin sur ta mobylette, tu roulais à plus de 70 km !"
Moi, tout sourire: "Oui, j'adore ça !"
L'ami de mon père: "Mais tu n'avais pas ton casque ! Tu ne sais pas que c'est dangereux de rouler si vite à mobylette, à fortiori sur cette voie rapide avec toute cette circulation ? Et que sans casque, si tu tombes tu peux te tuer ?"
Moi: "Heu non, je ne savais pas."
L'ami: "Hé bien maintenant tu le sauras ! Je dois te dire que j'ai eu très peur pour toi quand je t'ai vue ce matin ! Si j'avais pu m'arrêter je l'aurais fait et je t'aurais vertement sermonnée. Tu ne te rends vraiment pas compte du danger ! J'y ai pensé toute la journée et j'en ai été malade, figure-toi ! Ne refais plus ça ! Fais-moi le plaisir de mettre ton casque et de ne pas rouler aussi vite !"

Puis, s'adressant à mon père: "Excuse-moi de parler comme ça à ta fille, je lui parle comme je le ferais à ma propre fille. Tu devrais la surveiller davantage, lui apprendre les règles de sécurité, lui faire prendre conscience du danger et l'obliger à mettre son casque quand elle roule à mobylette. Je t'assure, j'ai vraiment été malade de trouille quand je l'ai vue ce matin !"
Mon père s'est empressé de changer de conversation.

Voilà, plus de 35 ans plus tard, je réalise enfin que mes parents étaient encore plus monstrueux que je ne le croyais.